Décarbonation dans le secteur industriel | Économie Bas Carbone en Tunisie : Enjeux et opportunités

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Quels sont les  tenants et les aboutissants du processus de décarbonation, considéré essentiel pour l’avenir de la Tunisie ? À ce sujet, Bayssen Amami, docteure ingénieure au sein de la Direction de l’Efficacité énergétique dans l’industrie à l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (Anme), donne d’amples éclairages sur les enjeux et les opportunités de ce processus.

De prime abord, Amami précise que la décarbonation désigne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, provenant principalement de la combustion des énergies fossiles, telles que le pétrole, le gaz naturel, ainsi que de certaines activités industrielles. L’objectif étant de diminuer l’empreinte carbone des activités humaines afin de contrer le réchauffement climatique et ses conséquences néfastes sur l’environnement.

L’on ne peut, en effet, ignorer les engagements concrets de la Tunisie en matière d’atténuation des gaz à effet de serre, suite à la ratification de l’accord de Paris en 2016 et à la soumission de sa première Contribution déterminée au niveau national (CDN) en 2015. Une version actualisée de la CDN a été mise à jour en 2021 en adoptant des objectifs plus ambitieux, exprimés essentiellement en termes d’intensité carbone, et qui visent à réduire l’intensité carbone de l’économie tunisienne de 45% à l’horizon 2030 par rapport au niveau de 2010.

L’énergie : le plus grand potentiel d’atténuation

Le secteur de l’énergie est reconnu comme le principal secteur émetteur des gaz à effet de serre, mais il détient également le plus grand potentiel d’atténuation, représentant 72% du total, avec 17% attribués au secteur industriel. Ainsi, le secteur énergétique en Tunisie offre des opportunités significatives pour réduire les émissions, mais cela dépend largement de la mise en œuvre des mesures définies dans les plans d’action sectoriels de la CDN tunisienne. Les plans d’action opérationnels ont été définis avec précision. Par exemple pour le secteur industriel, le développement de la cogénération offre un potentiel d’atténuation de 47%. Cependant, la mise en œuvre de ces mesures nécessite un investissement financier conséquent. Selon les estimations de la CDN actualisée, un financement de l’ordre de 14.4 milliards de dollars est requis pour atteindre les objectifs en termes d’atténuation, avec 11.7 milliards de dollars alloués au secteur de l’énergie et dont 7% sont nécessaires pour atteindre les objectifs d’atténuation du secteur industriel. Cette mobilisation financière est essentielle pour atteindre les objectifs ambitieux fixés par la Tunisie en matière de décarbonation.

Démarche d’accompagnement des entreprises industrielles

D’après Amami, l’Anme, « consciente des enjeux auxquels est confronté le secteur industriel tunisien dans sa transition vers une économie bas carbone, a mis en place une démarche d’accompagnement complète. Celle-ci comprend plusieurs axes d’intervention, notamment le soutien financier via le Fonds de transition énergétique (FTE), qui intègre désormais des subventions pour les études de comptabilité carbone (Calcul Bilan Carbone et Empreinte Carbone Produit) à hauteur de 70% ». Par ailleurs, et pour relever le défi du financement initial, Amami a affirmé que le secteur bancaire sera le pivot de cette « transition verte » et que, dans ce cadre, l’Anme collabore avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et le Conseil bancaire et financier (CBF) pour mettre en place un guide financier digital regroupant les produits financiers verts des banques tunisiennes, favorisant ainsi l’investissement dans des technologies propres et les pratiques les plus durables, et ce, en conditionnant l’accès au financement avec des critères exigeants de durabilité. Sur le plan procédural, l’experte a précisé que l’Anme est en train de développer un cahier des charges pour encadrer l’exercice de l’expertise carbone, assurant ainsi la conformité aux normes internationales de comptabilité carbone. Consciente de l’importance de la conformité aux exigences climatiques internationales qui concerne non seulement le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Mace), mais aussi les exigences clients qui deviennent de plus en plus strictes pour des secteurs clés comme l’aéronautique, l’automobile et le textile, Amami a dû rappeler que l’Anme mène une mission pour accompagner les entreprises tunisiennes dans le calcul de leur empreinte carbone produit, en mettant à leur disposition une expertise internationale et en développant des compétences nationales. En outre, l’Anme compte développer une plateforme digitale de décarbonation pour centraliser les bonnes pratiques et les success stories, facilitant ainsi l’accès à l’information et l’échange d’expériences, avec l’intégration d’un calculateur de Bilan Carbone gratuit pour les entreprises tunisiennes.

Impact des accords internationaux sur le processus de décarbonation

L’experte affirme que La Tunisie est tenue d’actualiser sa CDN tous les 5 ans, d’avoir d’amples connaissances  sur les progrès réalisés en matière d’atténuation et de fixer ses objectifs. A l’échelle nationale, « la Tunisie vise actuellement à mettre en place une réglementation stricte». Amami a appelé à « l’instauration de politiques plus contraignantes, telles qu’une taxonomie carbone  pour encourager la réduction des émissions».

Avantages économiques et environnementaux

La transition vers des pratiques plus écologiques permettrait de créer un nouveau « marché d’emploi vert», de réduire significativement les coûts énergétiques pour l’Etat et les entreprises, tout en offrant un avantage compétitif sur le marché international. Par ailleurs, la sensibilisation du public pour le succès de la décarbonation en Tunisie n’est pas des moindres. L’experte a affirmé que « la sensibilisation peut exercer une pression sur les entreprises pour qu’elles adoptent des technologies durables et commercialisent des produits respectueux de l’environnement. Le public sensibilisé tend à opter pour des pratiques moins génératrices des gaz à effet de serre, telles que l’investissement dans les énergies propres, l’achat d’appareils économes en énergie et la préférence pour les produits locaux à faible empreinte carbone ».

Principaux obstacles

Deux principaux obstacles à l’adoption de la décarbonation dans le secteur industriel en Tunisie sont identifiés, à savoir l’investissement dans les technologies d’efficacité énergétique qui reste coûteux dans le pays ainsi que le manque de sensibilisation des entreprises quant à l’urgence de la situation climatique, « ce qui constitue un autre défi à surmonter dans le processus de décarbonation industrielle ». Pour inciter les dirigeants d’entreprises tunisiennes à intégrer efficacement la décarbonation dans leurs opérations, Dr Amami suggère plusieurs pistes, citons :

-Calculer régulièrement son Bilan Carbone pour identifier les postes d’émissions et concevoir des stratégies de réduction adaptées.

-Fixer des objectifs de réduction des émissions et élaborer des plans d’actions pour les atteindre.

-Sensibiliser et former les employés sur les enjeux climatiques et les pratiques durables.

-Instaurer une politique de transparence en déclarant les émissions, impliquant ainsi les fournisseurs et les consommateurs dans un engagement volontaire.

-Explorer davantage les opportunités d’investissement vert pour soutenir la transition vers une économie bas carbone.

-Collaborer avec des startup et des universités pour le développement de technologies durables.

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